mardi 10 février 2015

1942/1944 - Quand les boches arrivent et les alliés bombardent…


Les bombardements Anglo-Américains sur la France (1940-1945) 



Quand les boches sont arrivés, je travaillais, maman gardait la petite. J’ai finalement donné ma démission, ça me disait rien avec ces évènements. Quand on est venu habiter chez Chapelon, Michèle avait 3 ans.

Maman se souvient :

La maison était près du pont, on était très mal placé puisqu’il y a eu plusieurs bombardements. On allait dans la cave de voisins, les Chanteperdrix. Ils avaient une cave voutée.

Pour le bombardement des américains en été 44, il y avait eu un ordre d’évacuation des Granges. Il faisait chaud. Je revois très bien du melon sur la table dans la salle à manger – je n’ai plus pu manger du melon pendant des années -, je ne sais pas pourquoi on était dans la salle à manger, une valise au milieu du couloir, ma mère qui s’affolait pour la remplir, mon père qui disait “ on s’en va, on s’en va, on n’a besoin de rien ” et moi qui pleurait parce qu’on voulait me faire lâcher mon poupon. La traction de mon père ayant été confisquée par les allemands, on est parti en vélo, une valise mal ficelée sur le porte-bagages qui menaçait de virer à chaque secousse et une bouteille de vin coincée je ne sais pas où. Elle s’est cassée alors même qu’on n’était même pas au bout de la rue de Crussol, mon père de jurer comme un templier parce qu’il avait perdu son pinard ! 




 

On est allé jusque chez Mme Boissier qui était une vieille dame amie de la famille sur la route de St Péray et là y avait un abri enterré dans le jardin, on s’y est réfugié et lorsque l’alerte a été terminée, on s’est retrouvé dans un camion ouvert avec lequel on a été à Toulaud dans un petit café où il y avait plein de réfugiés. On y a dormi à trois dans un lit de 90. Le lendemain on a voulu aller à Lamastre.

Entre temps, mon père était reparti en vélo, ma mère l’avait renvoyé voir ce qu’était devenu sa mère, elle se faisait du souci pour elle. Il croisa des colonnes allemandes, ce qui l’amena à se cacher dans les pêchers. Il a fini par arriver aux Granges. Le pont avait été bombardé mais il tenait tout de guingois, il a réussi à passer le pont et à retrouver ma grand-mère. Son appartement avait été bombardé, elle était hébergé par des gens. 


On est arrivé à Lamastre, ça venait d’être bombardé, il n’y avait plus une vitre aux fenêtres, alors on a continué sur Laragne.

Je revois Laragne, un petit village, une petite rivière où on allait se tremper les pieds. Mais surtout ce qui était terrible c’est que cet hôtel comme il était plein de réfugiés, il était plein de punaises. On se grattait à longueur de temps parce qu’on arrivait pas à se défaire des punaises. On y est resté 3 semaines sans rien avec nous, privé de nouvelles jusqu’à ce que ma mère me dise : “On fout le camp ! On rentre à Granges !




Faubourg St Jacques à Valence après le bombardement d'août 1944


Mamie : 

On est arrivé chez nous rien n’avait bougé : il y avait encore le melon sur la table, tout était en place, point de vol, d’autres avaient été moins chanceux….

Maman : 

On avait su que les Granges avaient été visités par des troupes allemandes, les mongols (?), ceux-là, tout le monde en avait très peur, ils avaient la réputation de piller, de violer…

De même, une famille qui avait une maison au bord du Rhône… On disait que c’était la maison la plus solide et que jamais, il n’y arriverait rien. Tout le quartier s’était entassé dans sa cave, il y a eu au moins 25 morts. Il est tombé une bombe dans le jardin, une sur la maison et une dans la cour. On a bien rebouché, on n’a même pas sorti les gens. Ça avait beaucoup bouleversé les Granges. 


Maman : 

Comme ils étaient près du pont, ma mère avait déménagé son manteau de peau de lapin chez ma grand-mère qui habitait Valence : ça craignait moins en pleine ville… Comme c’est en fait la maison de ma grand-mère qui a été bombardée, je revois encore ce manteau après la guerre, c’était une passoire. Pendant des années, j’ai entendu mon père dire : "dire qu’on avait un manteau de fourrure et qu’on a été le mettre dans une maison qui a été bombardée…".

En 44, les américains bombardaient tellement de haut qu’ils ont loupé une partie du pont mais chopé la moitié de la ville, ils ont chopé l’hôpital, la maternité et toute la basse-ville. Ce sont les anglais, la RAF qui ont terminé le travail en bombardant en rase-mottes.



Pont de Valence détruit par l'armée française en 1940 avant l'installation d'un pont Pigeaud

Mamie :

Ma grand-mère n’allait jamais dans les abris, un vieux monsieur au-dessus de chez elle non plus. Mais cette fois-là, ça dégringolait de partout, elle a trouvé que ça pétait un peu plus fort. Elle y est allée. Pas son voisin ; il est mort.

Pour aller voir maman, on a pris une barque et on est allé atterrir chez une cousine d’Henri, une modiste qui habitait rue Emile Augier. On a couché chez elle. Maman était dans un lieu pour réfugiés. Après s’être vu, on a repris la barque pour retourner aux Granges. On pouvait faire la navette entre Granges et Valence mais dans des conditions tout à fait épiques.

Nous avons ensuite gardé maman un an à la maison jusqu’à ce qu’elle soit relogée à Valence dans un petit appartement. Elle avait récupéré, peuchère, des bricoles dans les décombres. Elle y est resté jusqu’à 82 ans. 


Maman :

Ce sont " les enfants du Rhône ", une association sportive de jeunes qui faisaient des joutes, qui assuraient ces traversées. 

Le Rhône était très fort, je hurlais tout le temps, de peur, toute la traversée, ma mère était aussi morte de trouille, elle ne savait pas nager. 
Le bac, ça a duré pendant des années, au moins 2 ans. Après, ils ont fait un espèce de pont suspendu avec un passerelle de chaque côté pour les piétons qui a duré jusqu’à la construction du pont actuel. 





The Bombardier's Song (1944) - Bing Crosby and The Music Maids 



Maman :

Je revois ma grand-mère dans les décombres de sa maison, avec un turban sur la tête en train de trier ses reliques : elle sortait les photos de ses enfants morts qui avait un peu roussi mais qu’elle a sauvé. Elle ne cherchait que cela, les photos de ses enfants. Elle avait ressorti un canapé, des petits meubles, des petits trucs. Comme c’était au rez de chaussée, je suppose que c’était un peu protégé. Elle a toutefois été indemnisée : elle a touché des dommages de guerre qui lui ont permis de vivre jusqu’à sa mort.


Marie-Pascaline Grassot et ses deux enfants Victor et Suzanne

Victor Grassot

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