vendredi 13 mai 2016

Yvonne, la parisienne chez ses cousines de Champclos


 
Repas de fête à Champclos :
au premier plan à droite Louis, brandissant la bouteille Milet, Mamie sous le tableau


Quand elle nous a reçu, papa, maman et moi, Yvonne Musil nous a rappelé dans un grand éclat de rire qu’elle avait 91 ans. Elle est née en 1908 à Paris. Ses parents se sont connus et mariés à Vinezac. Pour échapper à la cohabitation avec une belle mère et une belle sœur terribles mais également parce que son père qui n’était pas l’aîné n’avait pas hérité de la propriété, ils ont fait la malle pour Paris en 1906. Ils l’ont posé dans le 12e arrondissement prés de la gare de Lyon. Son père est entré aux chemins de fer, d’abord comme palfrenier puis comme cocher, sa mère travaillait un peu à la maison comme couturière. Félicie Ranchin ne s’est jamais faite à Paris, si bien qu’ils ont acheté la maison de Laurac pour la retraite. Son père n’en profitera pas puisqu’il est mort deux ans après.


Le récit d’Yvonne 

Dés que j’ai été à l’école, j’ai commencé à passer mes vacances en Ardèche : je ne payais pas le train puisque mon père travaillait à la SNCF. On venait me chercher à Largentière qui était alors desservi par le train. J’y avais bien mes cousines de Vinezac mais elles étaient plus âgées que moi et surtout elles travaillaient à la filature pour cela elles se levaient à 5h du matin et ne revenaient que le soir, ça ne m’intéressait pas ; et dans l’autre famille, c’était des garçons. A Champ Clos, je pouvais retrouver deux cousines de mon âge Marie et Juliette.

De quoi vivaient-ils à Champ Clos ? De la propriété. « Une bonne maison ? » Oui plutôt, du temps de ma mère il y avait une vache à Champ Clos, ce qui était rare. Mon oncle Cyprien (le frère de Louis Léopold) qui vivait dans la maison où Daniel s’est installé par la suite, était aussi le maire de Rocher.

Nous les filles, on gardait les chèvres et les moutons. On tondait aussi les moutons, nous lavions la laine qu’on étendait ensuite dans le pré pour la faire sécher. On la filait aussi, à la quenouille pas au rouet. Que faisions nous d’autre en gardant ? On se racontait nos histoires en faisant un chapeau en feuilles de châtaigniers ou un panier avec des joncs. Mes cousines apportaient parfois leur tricot, moi je ne savais pas faire. On faisait aussi des chaussettes. Je ne m’embêtais jamais, je me plaisais à la campagne.

On n’arrêtait pas de marcher. On allait à la vogue dans le noir à Rocher chaperonnées par mes deux cousins Louis et Millet. On allait chercher le pain à Joannas, chez Jouve. Toujours à pieds, Je faisais aussi des voyages entre Champ Clos et Laurac.

Bon, au bal, c’était très chaste, pas même un baiser. C’est pas comme aujourd’hui où on est tombé dans une autre extrémité. Un jour le grand-père a dit : on va à Largentière, on doit rencontrer un jeune homme avec Juliette. On allait la marier. J’ai le souvenir que pour son mariage, je m’énervais : mon cavalier n’arrivait pas. Il fallait bien que je puisse donner le bras à quelqu’un pour remonter de Rocher à Champ Clos !

Valentine était un peu spéciale, elle faisait surtout la cuisine, pas un brin de couture. Elle mangeait toute seule et se tenait à table prés de la cheminée. Ma tante Maria, l’aidait bien : je la revois faire la vaisselle dans l’auge, comme on faisait dans le temps.

Elle était toujours avec des sabots, elle marchait clopin-clopant. Elle avait du mal à marcher. Elle devait aussi avoir des rhumatismes. Je ne me souviens pas l’avoir vue à la messe à Rocher. On peut dire qu’elle n’était pas sociable. Je ne l’ai jamais vu avoir un geste tendre pour ses enfants, même si aujourd’hui on les chouchoute trop les enfants. Le Paul mangeait souvent sur les genoux de son père, sa mère dans son coin prés de la cheminée.


 
Mariage de Zoé et de Paul Gazel


Zoé, la femme de Paul, le petit frère de mamie, raconte qu’elle a dû cohabiter six mois chez sa belle-mère, le temps que leur appartement dans la maison mitoyenne soit fini : «Pendant qu’elle se tournait les pouces, je retapais tous les habits de la maison, pourtant, elle trouvait que j’en faisais jamais assez. Quand je suis parti habiter à côté, si je sortais sur le pas de ma cuisine et qu’elle arrivait au portail, elle rentrait précipitamment sans me dire un mot. Elle ne me parlait pas. »

Puisqu’il n’était pas question de payer une pension pour cette villégiature d’été, Yvonne arrivait toujours à Champclos avec des produits manufacturés tel que du café, du chocolat et que ce chocolat, personne n’en voyait jamais la couleur : Valentine le planquait pour pouvoir le manger seule.
 

Maman rapporte que mamie de son côté rappelait que sa mère disait toujours que Félicie ne payait pas cher cette pension en se faisant nourrir pendant deux mois avec sa fille contre cinq tabliers qu’elle avait confectionnés (un pour chaque enfant de Champ Clos).
Il devait tout de même y avoir une jalousie entre ces gens de la ville, même modestes et la famille de la campagne. Derrière la sympathie il devait y avoir de la jalousie entre mamie et Yvonne.


 Le rat des villes et le rat des champs de Jean de la Fontaine



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