vendredi 13 mai 2016

A la montagne




Jacques Jouve en randonnée à ski en 1983


Jacques Jouve découvrit le ski sur le tard, dans sa 25e année environ. Il avait commencé la montagne avec la maison des jeunes… Ce fut un émerveillement car il faut dire qu’à côté de la Champ Du Cros, au dessus de Joannas, la Moucherolle dans le Vercors avait une autre allure.

Pour prolonger les plaisirs de la montagne,
Jacques Jouve se mit au ski. Il commença par la théorie : la maison fut inondée de livres expliquant les techniques de ski dans tous les sens. Vint alors le temps de la pratique. Je n’y assistais point mais à une sortie de messe un dimanche soir, je rencontrais Pierre Valette, un de nos amis, parrain de Bénédicte qui me dit : « Michèle tu devrais raisonner Jacques, nous l’avons vu au ski cette après-midi, dans une piste noire… Il était tout blanc… Je t’assure, c’est dangereux ! » Mais rien ne le décourageait et lors de vacances à Puy Aillaud, son style très efficace me permettait de le reconnaître de loin, penché en avant les bras en demi-cercle, fonçant comme un malade, mais arrivant malgré tout debout en bas de la pente.

A Puy Aillaud

 
Puy Aillaud était un tout petit village en Vallouise près de Briançon et nous avions loué un chalet plus que rustique : les WC dans un cabanon sur la place du village exposé à tous les courants d’air, pas d’eau dans la maison mais la fontaine du village tout près… Notre premier séjour fut organisé avec la famille Ducros ; malencontreusement, le deuxième jour, Michel Ducros plein de zèle se proposa pour la vaisselle et moi, esprit très pratique, vu qu’il n’y avait pas d’eau chaude, je versai dans la bassine toute l’eau de cuisson des céleris. Le résultat ne se fit point attendre : le soir même ses mains avaient doublé de volume et il eut juste le temps de rentrer à Romans pour se faire soigner. J’ignorais qu’il était allergique à ce savoureux légume.

L’année suivante, nous repartîmes ensemble, toujours à Puy Aillaud, mais dans un autre appartement beaucoup plus luxueux : il y avait l’eau sur l’évier, les WC étaient sur le balcon, un cabinet à la turque sur lequel on rabattait un caillebotis pour prendre la douche, tout cela bien sûr au vent frais des montagnes. Nous étions deux familles avec 9 enfants en tout dans une cuisine-salle de séjour de taille très moyenne, et chaque famille disposait d’une chambre que nous avions remplie de lits pliants en plus du lit conjugal. Sous nos pieds, nous tenant au chaud il y avait la bergerie qui faisait le bonheur des enfants. Jean-Philippe avait 5 ans, Béné 4 et j’attendais David.

Puy Aillaud était à l’aube de son développement ce qui rendait les vacances accessibles aux familles nombreuses : un seul fil-neige sur lequel
Jean-Philippe et Béné firent leurs premières armes, Béné avec ses lunettes de star et ses couettes au vent, et son frère toujours sérieux dans le pull bleu marine et rouge tricoté par sa grand-mère de Joannas. 

Jean-Philippe à Puy Aillaud ? (extrait de l'album que Jacques Jouve a offert à chacun de ses enfants pour Noël 1990)


A Villard St Pancrace


Autres lieux de villégiature hivernale qui marquèrent les mémoires :

Villard St Pancrace tout d’abord, toujours dans le Briançonnais à cause du soleil. Cette fois-ci nous disposions d’un chalet loué par relations dans de très bonnes conditions financières… et nous étions avec les Selsis venus de Paris et de Jeanine Pozin-Roux devenue épouse Julien, une de mes anciennes élèves qui faisait office de baby sitter. Le séjour ne commença pas très bien. Les Selsis arrivés premiers durent nettoyer des toilettes laissées plus que douteuses par les précédents occupants et cela ne les avaient pas mis de très bonne humeur.

Nous étions venus de la Drôme avec 5 enfants (dont Brigitte + Patrick Velly dont les parents étaient déjà, et pour longtemps au bord du divorce, Vincent trop petit était resté avec Mme Vial-Tissot, sa nounou) plus Jeanine dans deux voitures, la 404 rouge orangé et la 2CV toutes deux achetées d’occasion. Pourquoi deux voitures parce que les Selsis venaient en train et que pour se déplacer à deux familles, il fallait deux voitures. Après l’épisode toilettes, pour leur remonter le moral, nous partîmes à 4 faire des courses à Briançon laissant Jeanine avec la marmaille pour commencer à déballer les bagages.

A notre retour, nous la trouvâmes sur un talus dominant la maison entourée de tous les bagages et des enfants croyant que la maison était sur le point d’exploser. En fait, il n’y avait qu’un léger problème : de temps à autre, l’eau du chauffage central se mettait à vibrer avec un bruit assez infernal et si vous étiez au WC vous perceviez une arrivée brutale d’eau bouillante et fumante.

Le séjour continua de façon fort économique. Nous découvrîmes par hasard à quelques km du chalet, dans un grand champ légèrement en pente un remonte-pente qui marchait tout seul, sans personne pour s’en occuper. Cela fit le bonheur des enfants, des grands et même de notre portefeuille.

Ce fut pour moi l’occasion de m’apercevoir que Brigitte et Bénédicte qui venaient de faire une coûteuse saison d’apprentissage au ski club de Romans n’avaient jamais pris le remonte-pente car elles allaient se cacher dans le car pour échapper à cette redoutable épreuve. Furieuse, moi qui ne savais pratiquement pas faire de ski, je me plantai illico au départ du remonte-pente pour leur coller d’autorité la perche entre les fesses ; après quelques chutes, cette pédagogie énergique fut couronnée de succès et cela gratuitement. 


A Névache dans la vallée de la Clarée (Briançonnais)


Là encore la location ne manquait pas de pittoresque, c’était un immense chalet que le propriétaire louait pour pouvoir le terminer. Au RDC, une immense salle peut-être pour de futurs bals, puis des escaliers en béton brut qui conduisaient à deux appartements que nous occupâmes avec la famille Collet. Pour chaque appartement, il n’y avait pas encore de portes mais de belles couvertures. Les fenêtres n’étaient pas jointées mais le chauffage central marchait à fond, nous n’avons jamais eu froid. Je faisais la cuisine pour un nombre certain

(nos 5 enfants + Brigitte + Armande Magalhaes aujourd’hui Giraud, également ancienne élève), sur un petit réchaud à gaz à deux feux. Mais le soleil était au rendez-vous, les enfants s’éclataient sur une vraie piste de ski, Vincent qui débutait termina avec une superbe entorse et Claire, Yves et moi faisions du ski de fond tandis que Jacques faisait de la randonnée probablement avec les aînés.


Béné,  Manu, Vincent et Jean-Philippe à Névache en février 1979


A Gavarnie


Il y eut aussi le camp dans les Pyrénées, le cirque de Gavarnie. C’était en 1977, nous venions de passer de la 404 familiale (achetée aux Challier) au mini-car Renault, le véhicule était en rôdage et nous avons fait Romans – le cirque de Gavarnie,…à 70 km heure….Nous avions fait le plein (sauf Emmanuel qui avait 1 an et que Mamie de Joannas gardait) donc 5 enfants dont Brigitte plus Mireille et Agnès Pleinet sans lesquelles Bénédicte aurait fait la vie pour venir….Dans d’autres véhicules, il y avait : les familles Bousson, Perret, ma copine d’enfance Danièle, les fils Challier (dont Jacques qui s’est tué en montagne quelques années plus tard) les Piat aussi je crois….Michel Piat avait assuré les filles dans une descente mémorable dans la neige….Et enfin, la famille Selsis, pour une première dont ils se souviennent encore…

Les épisodes pittoresques ne manquèrent pas : l’arrivée : les voitures devaient rester sur la route et le camp fut établi en contre-bas au bord de la rivière…il commençait à pleuvoir, tout le monde était fatigué par la journée de route, il fallait descendre tout le matériel : tentes, duvet, vaisselle, provisions, bagages, à toute vitesse et…monter les tentes…. ….J’avais une migraine d’enfer et il fallut organiser le repas…. Ah, les repas ! 5 jours de pluie commencèrent, sans arrêt… Je nourrissais les occupants du mini-car (9 personnes) et les Selsis (4 personnes) J’avais mis toutes les provisions dans une petite tente canadienne, le réchaud 2 feux devant, les provisions derrière, je m’accroupissais, à l’extérieur, sous ma cape imperméable et je cuisinais dans deux grosses gamelles… Ensuite, j’allais avec ma louche distribuer la nourriture dans les tentes où l’on m’attendait, l’assiette à la main… Après, on s’occupait comme on pouvait : sommeil, lecture, jeux de société… La toilette ! Contrairement aux torrents des Alpes, les torrents des Pyrénées, les Gaves, ne sont pas froids… Avec Yvette Selsis, on y entrait à poil sous la cape imperméable qui nous servait de cabine de bain et on se lavait en faisant la causette….Il y eut aussi l’épisode « Adolescentes en crise » Nos filles et les filles Pleinet (15 ans en moyenne) draguaient les jeunes palefreniers qui, le soir, passaient sur la route, au-dessus de notre camp et ramenaient les chevaux avec lesquels ils avaient promené les touristes la journée…la drague était bien innocente mais un soir où les conversations dépassaient l’heure du couvre-feu, je suis montée à la route, enveloppée dans mon duvet, récupérer mes troupes…ma fille n’a pas oublié la honte que je lui ai infligée avec mon apparition un peu fantomatique et mon ordre impérieux d’aller au lit…. Le 6e jour, au moment où j’allais craquer et réclamer le retour à la maison : le soleil… branle-bas de combat, départ pour aller dormir en refuge et enfin, randonner….il y eut quelques belles ballades, dont la brèche de Roland…une nuit en refuge mémorable, nos ados faisaient la foire, Yvette Selsis perdant patience dans ce foutoir, se mettant à hurler : est-ce que leurs parents vont enfin les faire taire !!! et j’en passe….Le lendemain, départ pour le Vignemale…au bout de deux heures, je rebroussais chemin avec les Selsis qui en avaient marre et David, furieux de ne pouvoir continuer à cause de Vincent qui pleurait parce qu’il avait froid aux pieds…. Quant à moi, râter le Vignemale ne me traumatisait pas. Après 5 jours de beau temps, quelle chance, la pluie revint, on regagna le soleil de l’Ardêche. Entre-temps, Les Selsis, écoeurés avaient regagné Joannas, je découvris que David et Vincent (10 et 7 ans) qui partageaient notre tente, avaient ramené de l’école…des poux…que j’attrapais, bien sûr, et que nous détruisions en cachette pour ne pas semer la panique dans le camp, vu que nous étions loin de toute pharmacie…..

Par contre, lorsque nous faisions des courses dans le village le plus proche, nous ne passions pas inaperçus, un jour, alors que nous étions à l’arrêt, quelqu’un ouvrit la porte coulissante et entreprit de monter en demandant « c’est le car pour Gèdres ?"



Petite réflexion : Quand je relis ce que je viens d’écrire, et je le fais de temps en temps, je me dis qu’on pourrait se demander si, avec toutes les conditions de vie plus que rustiques, le beau temps pas toujours au rendez-vous, on pourrait se demander si la bonne humeur était, elle, toujours au rendez-vous….

Et bien oui, je n’enjolive rien, c’était comme ça : Jacques Jouve était d’un optimisme à toute épreuve et comptait sur moi, sans états d’âme, pour faire face à tous les problèmes bassement matériels ; à lui tout ce qui concernait le véhicule, le montage des tentes, l’organisation des balades, les itinéraires de montagnes ; à moi, le reste : provisions, intendance, repas, vêtements pour chacun, bref tout le reste. Et je ne me souviens pas de moments de mauvaise humeur : je menais mon monde rondement, je ne crois pas que nos enfants se souviennent d’engueulades maternelles, je crois que je ne faisais pas d’histoires pour rien, je réglais les problèmes rapidement, c’était une belle période de ma vie, j’étais consciente que je suivais mon homme dans un mode de vie que je n’aurais jamais connu sans lui, même si, à la fin de ces expéditions, je regagnais mes pénates avec un certain soulagement, mais aussi une certaine fierté : j’avais assuré…

Et puis, je m’en rends compte après coup, je vivais avec nos enfants tout ce que je n’avais pas connu dans mon enfance, assez ennuyeuse, de fille unique ; je ne voulais que gaieté, joie de vivre autour de moi et je n’ai souvenir que de cela…Et ils étaient super nos enfants (ils le sont toujours, ils sont devenus des adultes super mais aussi, pour ceux qui sont parents, des parents beaucoup plus soucieux que ce que j’étais, le monde a changé…) ils étaient joyeux, ils me faisaient beaucoup rire, même Bénédicte dont l’adolescence s’annonçait pourtant… Enfin, tout cela, c’est ma vision des choses, mes souvenirs, peut-être que leur vision n’est pas la même, le ressenti de chacun est mystère pour chacun….

Il faut dire aussi que tout cela reposait sur notre vie de couple, depuis notre rencontre, jusqu’au départ des enfants ; nous étions un couple résolument optimiste : les soucis d’argent ne nous ont jamais empêchés de dormir, Jacques n’avait pas de boulot l’été à la salle, il a trouvé le moyen de faire des sous avec sa passion de l’apiculture, il me laissait seule avec 5, 6 enfants pour aller faire de la montagne : son bonheur me réjouissait et je me régalais de vivre autrement avec mes enfants lesquels, rapidement coopératifs et efficaces, surtout les aînés, me permettaient d’avoir des bulles de calme pour bouquiner en buvant mon café, Jacques avait des sommes énormes à payer en septembre sans avoir le premier sou mais il comptait mordicus sur une bonne rentrée… Bon, j’avais un salaire, cela donnait un peu de sécurité et, surtout, assurait mon indépendance….

Si je continue à réfléchir à tout cela, je me dis qu’il y avait aussi une certaine force spirituelle dans notre vie : j’avais fait un retour dans l’Église en connaissant Jacques, après une dizaine d’années de prise de distance, mais l’Église du concile Vatican II, qui donnait de grands coups de balais dans sa boutique, un peu comme tente de le faire aujourd’hui le Pape François, m’a facilité ce retour. La lecture fréquente de l’Évangile, tous les deux, en équipe, nous a donnés une foi dans la vie qui a fait de nous ce que nous étions, y compris pour traverser les orages conjugaux, toujours suivis de belles éclaircies.

Je me suis beaucoup investie dans l’éducation à la foi de nos enfants ; cela n’a pas fait d’eux des chrétiens pratiquants mais cela les a peut-être aidés à devenir les adultes honnêtes, rigoureux, travailleurs, exigeants, ouverts qu’ils sont aujourd’hui, et de cela, je l’avoue, nous sommes fiers…..

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