Repas de fête à Champclos : au premier plan à droite Louis, brandissant la bouteille Milet, Mamie sous le tableau |
Quand elle nous a reçu, papa, maman et moi, Yvonne Musil nous a rappelé dans un grand éclat de rire qu’elle avait 91 ans. Elle est née en 1908 à Paris. Ses parents se sont connus et mariés à Vinezac. Pour échapper à la cohabitation avec une belle mère et une belle sœur terribles mais également parce que son père qui n’était pas l’aîné n’avait pas hérité de la propriété, ils ont fait la malle pour Paris en 1906. Ils l’ont posé dans le 12e arrondissement prés de la gare de Lyon. Son père est entré aux chemins de fer, d’abord comme palfrenier puis comme cocher, sa mère travaillait un peu à la maison comme couturière. Félicie Ranchin ne s’est jamais faite à Paris, si bien qu’ils ont acheté la maison de Laurac pour la retraite. Son père n’en profitera pas puisqu’il est mort deux ans après.
Le
récit d’Yvonne
Dés
que j’ai été à l’école, j’ai commencé à passer mes
vacances en Ardèche : je ne payais pas le train puisque mon
père travaillait à la SNCF. On venait me chercher à Largentière
qui était alors desservi par le train. J’y avais bien mes cousines
de Vinezac mais elles étaient plus âgées que moi et surtout elles
travaillaient à la filature pour cela elles se levaient à 5h
du matin et ne revenaient que le soir, ça ne m’intéressait pas ;
et dans l’autre famille, c’était des garçons. A Champ Clos, je
pouvais retrouver deux cousines de mon âge Marie et Juliette.
De
quoi vivaient-ils à Champ Clos ? De la propriété. « Une
bonne maison ? » Oui plutôt, du temps de ma mère il y
avait une vache à Champ Clos, ce qui était rare. Mon oncle Cyprien
(le frère de Louis Léopold) qui vivait dans la maison où Daniel
s’est installé par la suite, était aussi le maire de Rocher.
Nous
les filles, on gardait les chèvres et les moutons. On tondait aussi
les moutons, nous lavions la laine qu’on étendait ensuite dans le
pré pour la faire sécher. On la filait aussi, à la quenouille pas
au rouet. Que faisions nous d’autre en gardant ? On se
racontait nos histoires en faisant un chapeau en feuilles de
châtaigniers ou un panier avec des joncs. Mes cousines apportaient
parfois leur tricot, moi je ne savais pas faire. On faisait aussi des
chaussettes. Je ne m’embêtais jamais, je me plaisais à la
campagne.
On
n’arrêtait pas de marcher. On allait à la vogue dans le noir à
Rocher chaperonnées par mes deux cousins Louis et Millet. On allait
chercher le pain à Joannas, chez Jouve. Toujours à pieds, Je
faisais aussi des voyages entre Champ Clos et Laurac.
Bon,
au bal, c’était très chaste, pas même un baiser. C’est pas
comme aujourd’hui où on est tombé dans une autre extrémité. Un
jour le grand-père a dit : on va à Largentière, on doit
rencontrer un jeune homme avec Juliette. On allait la marier. J’ai
le souvenir que pour son mariage, je m’énervais : mon
cavalier n’arrivait pas. Il fallait bien que je puisse donner le
bras à quelqu’un pour remonter de Rocher à Champ Clos !
Valentine
était un peu spéciale, elle faisait surtout la cuisine, pas un brin
de couture. Elle mangeait toute seule et se tenait à table prés de
la cheminée. Ma tante Maria, l’aidait bien : je la revois
faire la vaisselle dans l’auge, comme on faisait dans le temps.
Elle
était toujours avec des sabots, elle marchait clopin-clopant. Elle
avait du mal à marcher. Elle devait aussi avoir des rhumatismes. Je
ne me souviens pas l’avoir vue à la messe à Rocher. On peut dire
qu’elle n’était pas sociable. Je ne l’ai jamais vu avoir un
geste tendre pour ses enfants, même si aujourd’hui on les
chouchoute trop les enfants. Le Paul mangeait souvent sur les genoux
de son père, sa mère dans son coin prés de la cheminée.
Mariage de Zoé et de Paul Gazel |
Zoé, la femme de Paul, le petit frère de mamie, raconte qu’elle a dû cohabiter six mois chez sa belle-mère, le temps que leur appartement dans la maison mitoyenne soit fini : «Pendant qu’elle se tournait les pouces, je retapais tous les habits de la maison, pourtant, elle trouvait que j’en faisais jamais assez. Quand je suis parti habiter à côté, si je sortais sur le pas de ma cuisine et qu’elle arrivait au portail, elle rentrait précipitamment sans me dire un mot. Elle ne me parlait pas. »
Puisqu’il n’était pas question de payer une pension pour cette villégiature d’été, Yvonne arrivait toujours à Champclos avec des produits manufacturés tel que du café, du chocolat et que ce chocolat, personne n’en voyait jamais la couleur : Valentine le planquait pour pouvoir le manger seule.
Maman rapporte que mamie de son côté rappelait que sa mère disait toujours que Félicie ne payait pas cher cette pension en se faisant nourrir pendant deux mois avec sa fille contre cinq tabliers qu’elle avait confectionnés (un pour chaque enfant de Champ Clos).
Il devait tout de même y avoir une jalousie entre ces gens de la ville, même modestes et la famille de la campagne. Derrière la sympathie il devait y avoir de la jalousie entre mamie et Yvonne.
Le rat des villes et le rat des champs de Jean de la Fontaine |
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